La toponymie semble avoir une place de choix dans la civilisation berbère. Si souvent, on regrette l’absence ou l’insuffisance de la trace graphique (écrite), la mémoire populaire vient combler un vide pour qui sait lire, mais surtout qui veut lire et se donner la peine.
La toponymie est considérée comme la clé de l’anthropologue ou de l’archéologue dans sa quête de la vérité historique. Il est important, sinon capital, de connaître un nom de lieu, car il permet d’analyser et d’expliquer des données historiques avec la possibilité d’établir un lien ou relation avec le peu de vestiges, ruines ou traces qui restent même après des milliers d’années. En résumé, il y a possibilité de remettre un événement historique dans son contexte géographique authentique. Le nom de lieu peut être un nom de famille, d’une fraction ou d’une tribu, comme il peut être aussi le nom d’une plante, d’un arbre, d’un oued, ou tout simplement le nom d’un ancêtre.
Le refuge de la Kahina, ou encore l’abri de la Kahina, Tajmout, n’est certainement pas une appellation fortuite. Romaine, Tajmout, Djmina, Akhnak Lakhrth, d’autres noms de lieux dans le voisinage immédiat du refuge de la Kahina. Les habitants du petit hameau Felmeche, l’agglomération la plus proche du refuge (une trentaine de kilomètres), ne lui connaissent pas d’autre nom aussi loin que remonte la mémoire des anciens et des ancêtres. Si les références scientifiques existent, même si elles sont considérées comme rares, la mémoire populaire ne perd pas sa place. Aurès encyclopédie berbère T 7 1989, de G. Camps, Massinissa ou les débuts de l’histoire, de L. Jacquot, et les Refuges aériens de l’Aurès, de P. Morizot, Vues nouvelles sur l’Aurès antique, et toute une bibliographie de plus de 300 références, œuvres et mémoires d’études fait référence à la construction berbère dans les Aurès comme un lieu de résistance, inaccessible pour l’ennemi et comme abri inviolable, vu les règles de sa réalisation.
Le refuge de la Kahina n’est pas unique dans la région de Megue Azougugh (la joue rouge), plus d’une vingtaine d’abris et de forteresses sont recensés dans toute la région. Voici quelques noms de lieux et de forteresses (refuges). Boutkane, Thizi Lasname, Hanchir Ntaroumith, Acharne et bien d’autres, où la trace humaine et encore visible en dépit des siècles passés. Il existe beaucoup de similitudes et ressemblances dans la manière de réalisation et des matériaux utilisés pour la réalisation de ces refuges, mais le dénominateur commun, le plus visible, reste l’inaccessibilité des lieux (forteresse) séparés de la terre ferme par des vides naturels (gouffres) qui peuvent atteindre jusqu'à cent mètres. Des tombes en formes circulaires se trouvent toujours à proximité de ces lieux habités par l’homme berbère, il y a des milliers d’années. Pourtant, ces traces et empreintes humaines ne trouvent pas leur place dans l’un des plus importants et célèbres guides de l’Atlas, la science est-elle neutre ?
Cependant, à l’exception de deux ou trois études scientifiques réalisées dans le domaine (la construction berbère dans les Aurès), ou d’une manière générale en Afrique du Nord, une bonne partie de la bibliographie donne des écrits ou recherches réalisées ou effectuées par des non-spécialistes, souvent des militaires ou des voyageurs durant l’époque coloniale.
Les recherches que l’on peut considérer comme références et exhaustives restent rares. Le mémoire de fin d’études de l’architecte d’intérieur Bennini Mohamed, enseignant à l’École des beaux-arts de Batna (la maison traditionnelle de Ghouffi Aurès), la thèse de fin d’études en licence en archéologie (la recherche des forteresses du peuple Maur, dans les Aurès) de l’archéologue Zohir Bekouche, actuel directeur de la culture dans la wilaya de Biskra sont les seules recherches dignes de ce nom. Recherche signifie utilisation des moyens actuels que la science met au service des archéologues et autres spécialistes du domaine. Analyse pour la caractérisation de l’objet et la datation pour le situer dans l’échelle de l’espace, ou encore le carbone quatorze ou la thermoluminescence. Paradoxalement, ce sont les vestiges de l’époque romaine qui sont les plus en vue et les mieux pris en charge, les vestiges berbères, et ils sont nombreux dans les Aurès, Imedghassen, Ichoukane, la Souma d’El-Khroub (tombeau de Massinissa), pour ne citer que ceux-là, semblent être à l’abandon ou mal protégés. La restauration du tombeau d’Imedghassen, qui tourne à l’abandon et la hantise, en est un exemple édifiant.
La seule consolation que l’on peut avoir reste l’éloignement des lieux et les sentiers non battus, ce qui décourage une bonne partie d’une nouvelle race de braconniers de la mémoire. La détérioration naturelle (intempéries), même si elle est lente, ne cesse de saper et d’effacer des traces pour perdre à jamais un ou des maillons de l’histoire à qui on semble tourner le dos. De retour au petit village Felmeche, nous rencontrons les éléments de la jeune association Kahina, sans moyen aucun, mais conscients de l’importance de la mémoire et de l’identité. Ils se fixent comme objectif la réalisation de films documentaires sur toute la région et, en particulier, le refuge de la Kahina qui trouvera sa place sur la Toile du moment que les instances nationales restent sourdes à leurs appels.
D’une certaine manière, l’administration locale ne connaît pas ou ignore l’importance de cette empreinte millénaire. Dans les deux cas, ignorance ou méconnaissance, on est jamais mieux servi que par soi-même, nous dit un jeune militant du mouvement associatif ; et là, on ne peut pas le contredire.
source : http://www.liberte-algerie.com